"La rupture du
pouvoir avec les syndicats est potentiellement inquiétante pour la
démocratie""La rupture du pouvoir avec les syndicats est potentiellement
inquiétante pour la démocratie"
CFDT le 30
mars 2012
Dans un long entretien accordé aux Echos en date du 30 mars 2012, François
Chérèque fait le point sur la stratégie de la CFDT dans le contexte de la
présidentielle.
Vous rencontrez ce vendredi Jean-Luc
Mélenchon, après avoir vu François Bayrou, François Hollande et Eva Joly. Quid
de Nicolas Sarkozy ?
Je n'ai pas de réponse. J'ai demandé à rencontrer
tous les candidats issus de partis de gouvernement, afin d'exprimer
les priorités de notre syndicat dans une démarche normale de dialogue, mais le
chef de l'Etat ne m'a pas proposé de rendez-vous, contrairement à 2007. On ne
m'a pas donné d'explication.
J'avais souhaité que ces rencontres se
tiennent avant le début du mois d'avril afin de ne pas interférer avec la fin
de la campagne électorale. Mais peut-être cette interview va-t-elle accélérer
les choses...
Comment l'interprétez-vous ?
Nicolas Sarkozy a lancé sa campagne en
souhaitant s'adresser directement au peuple, par-delà les corps intermédiaires
qui font selon lui de l'entre-soi. Sans doute ne veut-il pas rencontrer un
représentant de ce qu'il nomme une « caste » !
J'ai constaté une vraie rupture avec les
organisations syndicales au moment de la réforme des retraites. C'est
potentiellement inquiétant pour l'organisation de notre démocratie ces
prochaines années. La démarche du dialogue social avait pourtant été respectée,
valorisée et même glorifiée dans certains écrits par le chef de l'Etat.
Le candidat UMP s'en est pris vivement à
la CGT cette semaine, qui elle-même s'est engagée fortement contre lui dans la
campagne...
Je ne veux pas juger la démarche d'un
autre syndicat, mais la partie de ping-pong qui se joue n'est pas positive pour
la démocratie sociale. La CFDT n'a pas voulu tomber dans le piège d'une
démarche partisane. La dernière fois que nous avons soutenu un candidat,
c'était en 1981 et nous avons perdu 40% de nos adhérents dans les années qui
ont suivi.
On voit bien que le candidat UMP veut
montrer que les syndicats seraient contre lui parce qu'ils seraient partisans
et non pour des raisons de fond sur sa politique. En refusant l'engagement
partisan, la CFDT est plus crédible, ses arguments et ses critiques sur la
politique menée portent davantage.
Trouvez-vous la campagne électorale
décevante ?
Elle est très compliquée à mener et je ne
voudrais pas jouer les censeurs depuis le bord de la touche, ce serait un peu
facile. La France connaît la situation économique, sociale et budgétaire la
plus difficile depuis le début de la Ve République. Les candidats, s'ils
veulent être sérieux, ne peuvent pas promettre la lune. Forcément, cela ne rend
pas la campagne très enthousiasmante.
Mais au moins, on débat de la dette, sujet
sur lequel la CFDT a prêché dans le désert pendant des années. Dès le sommet
social de février 2009, nous avions dit au gouvernement qu'il fallait revoir la
fiscalité des hauts revenus pour financer les mesures. Après, j'observe
plusieurs façons de faire face à ce contexte difficile.
C'est-à-dire ?
Certains candidats préfèrent parler
d'autres choses en mettant le focus sur les sujets qui ne sont pas prioritaires
pour les Français, comme la sécurité ou l'immigration. D'autres « picorent
» autour des vrais sujets tels que la fiscalité, l'emploi, la compétitivité ou
la protection sociale. Ils font des propositions intéressantes -je pense en
particulier à François Hollande sur la progressivité de l'impôt -mais sans
parvenir à les lier dans un projet global redonnant de l'espoir. Il y a enfin
ceux qui restent dans les propositions démagogiques. Soit ils savent qu'ils ne
seront pas élus, soit ils ne les mettront pas en œuvre.
Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon sont
assez hauts dans les sondages...
Je refuse de les mettre dans la même
catégorie. Marine Le Pen est plus que jamais dans le registre de l'exclusion,
de la stigmatisation. La campagne de Jean-Luc Mélenchon s'appuie sur un
sentiment d'injustice très fort, qui s'est développé fort logiquement ces
dernières années et qui va encore se nourrir des rémunérations astronomiques,
telle celle du président de Publicis. Mais ses propositions économiques
manquent de réalisme, et cela va générer des désillusions.
Comment agir en étant crédible ?
Nous interpellons les candidats pour
qu'ils construisent une France plus juste, qu'ils s'attaquent aux inégalités.
Cela passe par une réforme fiscale et une évolution de notre protection sociale
qui garantisse, dans un souci de justice, la pérennité de notre modèle social.
Avec une remise à plat avancée à 2012 du système de retraite. Cela passe
ensuite par une action résolue visant à rendre la France plus compétitive, en
intégrant la nécessité du développement durable.
Comment restaurer cette compétitivité ?
En arrêtant d'abord de n'aborder le problème
que sous l'angle du coût du travail. C'est loin d'être le cœur du problème.
Regardez le secteur automobile allemand : il est très performant alors que les
salaires y sont bien plus élevés qu'en France. Mais eux ont su investir
massivement et se donner plus de souplesse dans l'organisation du travail. La
compétitivité hors prix est centrale.
Quant aux problèmes de compétitivité-coût,
ils nécessitent une meilleure coordination des politiques européennes. Dans
l'agro-alimentaire, l'Allemagne fait du dumping social contre la France ! Elle
autorise des salaires de 5 euros de l'heure que l'Etat compense ensuite avec
des primes pour l'emploi. On ne peut pas continuer à accepter sans broncher
cette concurrence déloyale. Je l'ai dit à Angela Merkel, que j'ai rencontrée la
semaine dernière avec d'autres syndicats européens. La responsabilité politique
est au niveau du couple franco-allemand.
Vous évoquez plus de souplesse dans
l'organisation du travail comme une vertu allemande. Vous êtes donc favorables
aux accords compétitivité emploi en cours de négociation ?
Evidemment, pas question pour la CFDT de
supprimer les 35 heures ! De tels accords doivent s'inscrire dans une démarche
globale, avec un droit de regard renforcé des syndicats sur la stratégie des
entreprises et un meilleur partage des bénéfices de la croissance quand elle
revient. Je suis prêt à prendre le modèle social à l'allemande dans
l'entreprise. On en est loin avec les propositions du Medef. Je ne vois pas
comment on pourrait parvenir à un accord avant la fin du premier semestre.
Face au chômage de masse, les propositions
sur l'emploi sont-elles à la hauteur ?
Elles sont classiques mais nécessaires.
Nous ne pouvons pas nous passer en période de crise d'un traitement social
massif du chômage. Je note que le gouvernement critique les contrats aidés du
PS alors qu'il dépense actuellement tout ce qui avait été budgété pour l'année,
afin de contenir le chômage avant le scrutin.
Le déficit de l'Unedic est très élevé.
Faut-il rendre les allocations-chômage dégressives ?
On étudiera toutes les pistes lors de la
prochaine renégociation de la convention d'assurance chômage. Je note que 25 %
de ce déficit provient des intermittents du spectacle, qui ne représentent que
4 % des cotisants. La future majorité devra prendre ses responsabilités sur ce
sujet. Il ne faut pas casser le système. Mais ce n'est pas aux salariés du
privé de le financer seuls. Cela doit être du ressort de la solidarité
nationale.
Quels sont les sujets trop absents du
débat ?
La réorganisation du système de soins,
entre la médecine de ville et l'hôpital, n'est pas abordée, notamment parce que
les candidats ont peur de s'attaquer aux professions médicales, les plus
corporatistes. Les propositions sur le logement et les banlieues sont faibles.
Le 1er mai tombe entre les deux tours de
l'élection. Allez-vous manifestez ou observez une forme de trêve ?
Nous souhaitons un 1er mai syndical, pas
un 1er mai politique. Il faut en profiter, sans approche partisane, pour faire
parler du travail et interpeller les deux finalistes sur ce thème. Nous venons
d'écrire aux autres syndicats pour leur proposer une réunion commune de
préparation de ce 1er mai.
Laurent Berger vient d'être nommé numéro
deux de la CFDT. Faut-il y voir le signe que votre départ est imminent ?
Ce n'est pas lié. Laurent Berger sera
proposé pour me succéder, c'est un secret de polichinelle. Sa nomination au
poste de secrétaire général adjoint clarifie la situation. Il y a une date
taquet, c'est le congrès de 2014. Après, le calendrier n'est pas lié à un
éventuel changement de majorité politique. Je ne partirai pas dès cet été.
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